don't wake me up ; odyssée du léopard

don't wake me up

i've been passing the days not living them ☽ Des lunes. Des lunes qu’elle avait disparue, sa soeur. Des lunes qu’elle était morte, sa compagne. Des lunes qu’il avait été exilé, l’assassin. Des lunes qu’il se morfondait, Odyssée du Léopard. Il avait perdu le goût de la vie dès qu’elle avait quitté ce monde pour rejoindre les étoiles, il commençait tout juste à reprendre du poil de la bête depuis que ses chatons étaient devenus de grands guerriers indépendants. Il sentait que lors de ces beaux jours, il allait peut-être de nouveau avoir de l’espoir dans son coeur. Sa confiance le regagnait chaque fois qu’il parvenait à attraper une proie, chaque fois que quelqu’un le félicitait de ce qu’il rapportait sur le tas de gibier juste avant que le repas du midi ne commence. C’était bien la seule chose qui lui redonnait le sourire, mais les journées étaient de plus en plus longues et ses nuits étaient toujours aussi courtes, mouvementées, parsemées d’insomnies et temps à autre comme la nuit dernière ; une fois le repas terminé, une sieste était donc la bienvenue. Allongé sur son nid, le matou marbré se léchait les pattes afin de se faire un brin de toilette, prêt à se mettre en boule. Une silhouette pénétra dans l’antre pour se poser doucement sur sa propre litière. Le guerrier aux yeux verts n’eût aucun mal à reconnaître Jardin des Mystères, une jeune guerrière du Clan. Il avait remarqué qu’elle prenait toujours grand soin de sa fourrure rousse, mais qu’elle se retrouvait souvent pleine de sueurs, le coeur battant peut-être un peu trop vite la nuit, lorsqu’il n’arrivait pas à dormir. Son sommeil semblait régulièrement mouvementé, d’une manière un peu différente que le mâle fauve mais il ne comprenait pas ce qui pouvait bien nuire à ses douces nuits. Ainsi, alors qu’il n’était que tous les deux dans la tanière — il était encore tôt, les autres n’étaient pas encore venus se reposer ou profitaient des maigres rayons du soleil — il se décida à lui poser la question.

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i've been passing the days not living them ☽ Son visage roux semble lui accorder de l’attention, après un léger redressement, à croire qu’il vient de retarder le moment où elle va pouvoir faire sa sieste, par sa faute. Il devrait aussi dormir ; mais l’envie de parler semble occuper toutes ses pensées. «  Bonjour Odyssée du Léopard, je viens de rentrer de la patrouille du midi » C’est donc pour cela qu’elle semble fatiguée. Mais elle n’a pas dormi cette nuit. Cela s’ajoute clairement à ce qu’elle a perdu en sommeil ces derniers temps. Il le ressent lui même juste dans ses muscles, jusque dans ses os. Ça pue la fatigue. Le manque d’énergie. «  Oh tu sais avec le printemps qui arrive j’ai l’impression d’être un peu surmenée, les chatons grandissent et certains deviendront apprentis bientôt… Les bouches sont nombreuses à nourrir » Ainsi parle-t-elle. Ainsi se dévoile-t-elle ne serait-ce qu’un peu. Mais ses excuses ressemblent beaucoup aux banalités de la vie plutôt qu’à de réelles troubles qui occupent réellement les pensées. « Je vois. Le printemps est pourtant annonciateur de renouveau, non d’anxiété contrairement à l’hiver. Si les chatons grandissent, et deviennent apprentis, ce ne seront pas que des bouches à nourrir mais aussi de nouveaux chasseurs qui rempliront le tas de gibier. Tu n’as pas à t’en faire. » Si le guerrier semble clore la discussion en se détournant un instant pour se lécher le poitrail, il remarque sans le moindre problème qu’il n’y a pas que ça. Qu’il y a quelque chose d’autre. Il le sait car il le vit. Et il ose demander. Il veut savoir. Si elle ne dort pas bien, il doit savoir.
La surprise hein. Il avait compris oui. D’autres aussi peut-être. Ce n’était pas quelque chose d’anodin lorsque l’on dormait en communauté.
Lui-même parlait. Lui-même se dévoilait. Et c’était rare.

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i've been passing the days not living them ☽ Il n’y a pas besoin de mots pour comprendre lorsqu’un félin est en détresse, cela se lit dans ses yeux ; et si Odyssée du Léopard n’était pas des plus perspicaces, il avait pourtant compris ce qu’il se tramait chez Jardin des Mystères. Quelque chose chez elle n’allait pas, son sommeil était entrecoupé, troublé ; un peu comme lui. Là était la seule raison pour laquelle il s’était rendu compte qu’elle n’allait pas bien, elle non plus. Tout le monde connaissait les raisons du mâle tacheté, la mort de sa compagne, lui qui l’avait aimé de toute son âme, elle qui avait porté ses enfants, chaque savait qu’il était en train de remonter doucement la pente d’un amour inconditionnel perdu à tout jamais. Quant à la demoiselle, il n’avait pas la moindre idée de ce qui se tramait, elle cachait plutôt bien son jeu à vrai dire. Et même s’il avait vu naître la jeune femelle alors qu’il n’avait qu’une quinzaine de lunes à l’époque et qu’il l’avait vu grandir, il avait l’impression de ne pas la connaître. Elle avouait tant bien que mal ses cauchemars à croire qu’elle cachait une fierté mal placée, elle se plaignait de la vie en communauté mais …  
lui dit-il d’un air mystérieux. Ses paroles n’étaient pas tellement explicites, mais il se disait qu’elle pourrait bien comprendre. « Je suis fatiguée, Odyssée du Léopard, j’ai l’impression de ne plus réussir à trouver le sommeil  » Il baisse la tête, peiné de l’état de la femelle, pensant presque se voir en elle ; lui non plus ne trouvait pas le sommeil.  
Persuadé de ses paroles ? Pas tellement. Il espérait néanmoins calmer les tourmentes de la jeune guerrière.

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i've been passing the days not living them ☽ Jardin des Mystères n’avait jamais été qu’une connaissance dans sa vie, il n’avait jamais pris le temps de s’intéresser à elle, d’apprendre à la connaître. Elle n’avait été qu’une guerrière parmi les autres chats de ce clan. Odyssée du Léopard s’étonnait que dans un clan pourtant contenant peut-être un maximum d’une trentaine de membres — jamais plus, la survie du clan en dépendait — il n’était pas capable de connaître tout le monde autant qu’il le souhaitait. Il faut dire que la jeune demoiselle avait pratiquement vingt lunes de moins que lui, pas de quoi donc les faire avoir un lien grandiose. Mais elle l’interpellait, dans ses manières, dans ses insomnies. Elle était comparable à lui.  « Tu as aussi des problèmes pour dormir ?  » Il ne fit qu’acquiescer, n’osant pas se dévoiler davantage. Le mâle tacheté n’avait jamais été fort pour parler de ce qui se tramait dans sa tête, il ne trouva donc rien à rajouter. L’allusion à Oeil du Firmament lui fit froncer les sourcils, il était assez sceptique quand à cette option, à moins que ce ne soit sur une courte durée.


Pourtant, Jardin des Mystères se résignait assez facilement à tenter de résoudre ses problèmes. Son conseil, pour autant, marchait toujours. Peut-être que le guérisseur pourrait être celui qui apaisera ses souffrances, celles du coeur. Odyssée du Léopard savait qu’il n’avait pas bien placé pour discuter de cela avec elle. Le sujet se retourna sur lui, de quoi le brusquer un peu. Dans l’esquisse d’un sourire, il répondit mystérieusement, pas prêt encore à en parler, peut-être parce que c’était elle ou peut-être justement parce que il n’avait pas envie de parler de celle qu’il avait perdu. Même son nom ne voulait plus entrer dans ses pensées.

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i've been passing the days not living them ☽ Odyssée du Léopard n’avait pas envie de s’étaler sur sa vie parce qu’il pensait que cela n’intéressait personne, parce qu’il voulait garder sa peine pour lui, au fond de lui, loin dans son être, loin dans sa mémoire pour pouvoir passer enfin à autre chose, mais il se rendait doucement compte que la demoiselle était intéressée par ce dont il souffrait, par ce qu’il traversait. La douleur. La souffrance. La colère. L’amour. Il avait su piquer sa curiosité et d’une certaine façon, recevoir une quelconque attention, avec un peu d’insistance, on savait faire parler le doux Odyssée du Léopard qui finissait un jour à l’autre à l’ouvrir. Il fallait simplement lui laisser le temps de faire confiance à la personne. Il avait bien compris que Jardin des Mystères n’était pas une menace, il sentait qu’il avait le droit, que quelque chose allait se libérer de ses épaules. Elle n’avait pas tort. Il soupira avant de finir par ouvrir son coeur.

Elle avait su lui ouvrir les yeux aussi sur ce qu’il ressentait, et elle avait raison : s’ouvrir à des personnes extérieurs était plus simple. Plus simple que d’en parler à son meilleur ami, à ses enfants de la douleur qui le traverse, à ses amis qui ne peuvent pas comprendre. Mais là, il parlait sans qu’on ne puisse le regarder avec pitié. Parce qu’elle ne le connaissait pas. C’était tellement plus simple.

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i've been passing the days not living them ☽ Il se laisse aller, il parle enfin de ce qui se trame sur son coeur, la douleur et le mal-être depuis qu’elle s’est envolée, disparaissant en un claquement de doigts à la manière d’une magicienne, elle avait disparu sans un dernier mot pour son compagnon et revenait parfois. Elle était là, simplement, près de lui. Il la sentait, son odeur, quelque chose qui ressemblait à sa fourrure contre la sienne. Il n’était peut-être pas encore prêt à la laisser partir si facilement. Il souffrait de tout son corps, de tout son cœur et de toute son âme. Il l’avait aimé à s’en déchirer les entrailles et maintenant, il payait l’amour qu’il lui avait offert. Il était triste et complètement perdu sans elle et un lourd silence s’installa doucement suite à son histoire. Il n’en avait pas dit beaucoup à propos de Cœur de Primevère alors qu’il serait capable de parler d’elle pendant des heures. Puis Jardin des Mystères finit par briser le silence par de paroles dotées d’une soudaine sagesse malgré son jeune âge. Odyssée du Léopard l’écoutait avec admiration, profitant de toute la bonté instruite qui pouvait lui offrir un moyen d’aller enfin de l’avant. Et elle n’avait pas tort. Encore et toujours. Le temps. Moteur de la vie, détenteur de la mort et réparateur des cœurs tel un panseur de plaies, il arrangeait tout, aussi fou que cela puisse paraître. C’est finalement au tour de la demoiselle de s’ouvrir enfin et les deux s’écoutent en adulte. Il aimerait la laisser s’ouvrir seule, mais elle n’énonce qu’un nom et deux troubles. C’est à son tour de l’encourager. « J’imagine que cela ne doit pas être facile non plus. » lui répond-t-il en baissant les yeux sur ses pattes. Puis il repose alors son regard émeraude sur elle. « Je n’ai jamais vraiment été au courant de ce qu’il s’était passé entre vous, simplement un rapprochement, des chatons puis un désintérêt. Que s’est-il passé exactement ? » si sa question était peut-être un peu vague, elle incitait à raconter toute une histoire à la manière des conteurs de la tanière des anciens. Sa curiosité le poussait à vouloir tout savoir désormais.